Psychologie : Les risques du confinement chez les athlètes de haut niveau Avec le confinement, les sportifs de haut niveau ont dû s’adapter pour poursuivre leur préparation physique. Même si pour beaucoup, l’annonce du report des Jeux olympiques de Tokyo a chamboulé l’organisation de leurs prochains mois, les conséquences psychologiques sont à prendre au sérieux. Pour Meriem Salmi, psychologue à Paris et experte à l’Insep, l’après-confinement sera à surveiller de près, afin de veiller à ce que certains athlètes ne développent pas d’éventuel stress posttraumatique.
La France est confinée depuis maintenant 15 jours. Quand on est sportif de haut niveau, et que l’on a l’habitude de se dépenser, quel est l’impact psychologique de ce confinement ? Meriem Salmi : « Tout d’abord, avec ce confinement, les athlètes ne peuvent plus pratiquer leur discipline. Ensuite, certains ont accès à un jardin ou à des endroits où ils peuvent courir seul en forêt par exemple. Ceux-là sont moins affectés sur le plan de manque de dépenses physiques. Mais même pour ceux qui peuvent se dépenser, il y a toutefois une période d’adaptation puisqu’il faut modifier complètement ses habitudes. Je m’occupe d’un certain nombre de sportifs de haut niveau. Au début du confinement, ils étaient complètement perdus. Ils n’avaient pas de repère, ils étaient dans l’attente. C’était un moment difficile pour eux. Maintenant, on sait que les Jeux sont reportés donc ils peuvent s’organiser en conséquence. Évidemment, il va falloir du temps avant que chacun puisse s’adapter à la situation. Par exemple, pour un judoka, en dehors de la préparation physique, il peut s’entraîner par des techniques de visualisation, via des vidéos. Mais ça n’a rien à voir avec la pratique du judo sur un tatami avec ses partenaires d’entraînement comme il en a l’habitude. Il y a donc un temps d’adaptation et pour certains, il y aura peut-être un trouble de l’adaptation. »
Le confinement est amené à durer jusqu’au 15 avril, probablement plus. Ne pas connaître la date de fin de ce confinement est-il un facteur d’anxiété pour les sportifs ? M.S. : « Personne ne sait quand prendra fin le confinement, ni le gouvernement, ni les médecins, ni même les chercheurs. Les athlètes sont des gens qui ont l’habitude de tout contrôler. Si on leur donne des indications, ils vont prendre le contrôle et organiser leur temps et leur vie en fonction. Ne pas avoir d’échéances sportives datées en tête est plus simple à vivre que d’avoir des points d’arrêt en continu. Mon travail consiste à préparer les athlètes à vivre pendant un moment dans ces conditions-là. Les athlètes doivent se focaliser sur ce qu’ils contrôlent, et non sur ce qu’ils ne peuvent contrôler. »
Pour ceux qui préparaient les JO ou d’autres grandes compétitions, la déception est grande. Comment gérer cette frustration après tant de préparation ? M. S. : « L’organisation et les repères des athlètes ont changé après toutes ces annonces de report et d’annulation. On ne sait pas encore comment vont se passer les prochains mois. C’est très troublant, et cela peut créer des perturbations. Mais une fois le confinement terminé, ils retrouveront leurs repères et leurs habitudes, leur encadrement sportif et technique, leurs médecins, tout leur environnement autour d’eux. Il faudra simplement, à l’issu du confinement, qu’on puisse nous, les psychologues, surveiller les athlètes et veiller à ce qu’ils ne développent pas un éventuel état de stress post-traumatique. Les sportifs ne sont pas les seuls concernés d’ailleurs, toute la population l’est. »
Est-ce que ce manque de sport peut provoquer chez ces sportifs professionnels de l’impatience, de l’anxiété élevée, voire même une certaine forme de violence ? M.S : « Cela peut effectivement se produire. Je pense que ces symptômes – l’agressivité, l’irritabilité, la violence – peuvent être des signes d’épisodes dépressifs ou de troubles anxieux entre autres. Toutefois, les sportifs de haut niveau ont l’habitude de gérer et de s’adapter en permanence à des situations complexes. Ceci étant dit, ce sont avant tout des êtres humains, je ne dis pas que certains parmi eux ne déclencheront pas des troubles, ils ne sont pas à l’abri de souffrance, mais c’est malgré tout assez rare. Ce qui va entrer en compte, ce sont les personnalités de chacun mais aussi, si les athlètes sont bien entourés par leurs proches. »
Est-ce que le confinement est plus difficile à vivre pour les joueurs des sports collectifs, habitués à jouer en équipe ? M. S : « Pour les joueurs des sports collectifs, il est très dur de se retrouver seul en effet. Mais je ne sais pas si c’est plus dur que pour les joueurs de sports individuels, car même pour ceux-ci, les athlètes s’entraînent ensemble. Il est très rare de trouver des sportifs de haut niveau qui s’entraînent complètement seuls, même les joueurs de tennis se retrouvent de temps à autre pour s’entraîner ensemble. Les sports collectifs vivent la compétition ensemble, c’est la seule différence. Ce qui va entrer en compte en revanche, ce sont les personnalités de chacun mais aussi, s’ils sont bien entourés par leurs proches. »
Quels sont vos conseils aux athlètes pour garder le moral pendant le confinement ? M. S : « Il faut absolument garder le lien social, ne pas s’isoler. Si un athlète est en souffrance, il doit contacter sa fédération ou sa structure de référence pour qu’il soit accompagné. Je recommande à tous, quand certains observent qu’un de leur ami ne se sent pas bien, d’alerter les psychologues du sport. Surtout, ce n’est pas à eux de les prendre en charge. A l’Insep, on a déjà commencé à réaliser un travail de prévention. »